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Interview avec Lobé Cissokho, Coordonnatrice du Réseau Oyofal Paj des Mutuelles de Santé de Kaolack (Sénégal)

18 juin 2024

Interview avec Lobé Cissokho, Coordonnatrice du Réseau Oyofal Paj des Mutuelles de Santé de Kaolack (Sénégal)

Tags : Sénégal | Mutuelles de santé

Pouvez-vous nous expliquer les mutuelles de santé et leur fonctionnement au Sénégal ? Comment sont-elles organisées ?

Lobé Sissoko : Je m'appelle Lobé Cissokho. Je coordonne le réseau des mutuelles de santé Oyofal Paj de la région de Kaolack. Une mutuelle de santé est une association de personnes à but non lucratif qui, par le biais de leur cotisation, mène des activités de prévoyance, de solidarité et d'entraide pour l’accès aux soins de santé.

En effet, ces mutuelles de santé sont une réponse adaptée, car ici, au Sénégal, 80 % de la population évolue dans l’économie informelle et le monde rural. Ce secteur ne dispose d’aucune assurance, donc lorsque quelqu'un tombe malade, il doit sortir de l'argent de sa poche pour pouvoir couvrir ses dépenses de santé. Au Sénégal, nous avons des valeurs de solidarité et d’entraide. Nous avons donc cherché à construire un mécanisme basé sur ces valeurs pour prendre en charge les soins de santé des bénéficiaires et de leurs ayants droit. C'est ainsi que nous avons mis en place les mutuelles de santé, qui offrent une réelle solution pour l'accès financier aux soins de santé des populations.

Lorsque nous avons instauré ces mécanismes de solidarité, nous nous sommes notamment appuyés sur les tontines[i]. Les tontines nous ont permis de collecter les cotisations auprès des bénéficiaires. Ce sont des mécanismes solidaires existants qui ont renforcé l'existence des mutuelles de santé, car il était nécessaire de mobiliser les ressources locales. Après cette mobilisation, la mutuelle demande une adhésion. Pour adhérer à une mutuelle, il faut payer une cotisation initiale de 1000 francs, ce qui donne droit à l'adhésion. Ensuite, il y a une cotisation annuelle de 3500 francs par personne.

Nous avons rencontré Lobé en Juin 2023 à Kaolack (Sénégal).

Après avoir payé sa cotisation, il y a une période d'observation d’un mois durant laquelle la personne ne peut pas bénéficier d’un remboursement des soins de santé. La mutuelle établit des relations contractuelles avec des structures sanitaires pour que les bénéficiaires puissent accéder à des soins de santé.

Ce partenariat est formalisé par des conventions signées entre la mutuelle et le prestataire de soins. Ces conventions comportent des clauses claires qui déterminent la prise en charge des bénéficiaires. Selon ces conventions, à la fin de chaque mois, les prestataires de soins nous envoient des factures que nous examinons et payons.

Les services couverts par la mutuelle incluent le ticket de consultation, les médicaments génériques disponibles dans les structures sanitaires, les analyses, l'hospitalisation, les échographies, les consultations prénatales et postnatales, la planification familiale et l'accouchement. Ces services sont pris en charge à 80 % par les mutuelles de santé, le bénéficiaire ne payant que 20 %. Pour les médicaments de spécialité disponibles en pharmacie, les mutuelles couvrent 50 % et le bénéficiaire paie 50 %.

Cependant, la contribution annuelle de 3500 francs (10 €) est insuffisante pour garantir la continuité des soins. Cette contribution couvre les soins de base au niveau des postes et centres de santé, mais il faut aussi assurer la continuité des soins au-delà de ces structures.

C'est ici qu'intervient la couverture maladie universelle, une politique sociale du gouvernement qui nous permet d'assurer cette continuité des soins. Au Sénégal, nous avons un paquet de services de base au niveau des postes et centres de santé, ainsi qu'un paquet complémentaire au niveau des hôpitaux. Ce paquet complémentaire est attractif, car il couvre 80 % des services hospitaliers, y compris les interventions chirurgicales, l'hospitalisation pour une durée de 7 jours et l'évacuation médicale, tous pris en charge à 100 %.

"Ce poste de santé géré par les mutuelles Oyofal Paj, situé dans la banlieue de Kaolack, offre des consultations médicales, des services de vaccination et abrite également une maternité pour les habitants des quartiers populaires. © Solsoc 2023"

Pour promouvoir les mutuelles de santé, nous menons des campagnes de sensibilisation. L'adhésion est libre et volontaire, on ne peut pas forcer une personne à adhérer. Cependant, des mesures incitatives et la sensibilisation encouragent les gens à rejoindre les mutuelles de santé et à profiter des services de qualité offerts. Ces personnes sensibilisées deviennent ensuite des ambassadeur·rice·s auprès de leurs pairs.

C’est ainsi que les mutuelles de santé communautaires se développent au Sénégal, gérées et organisées par les communautés elles-mêmes.

Quelle est la situation des mutuelles au Sénégal. Comment faites-vous pour augmenter le nombre d’adhérent.e.s ?

Lobé Sissoko : Au départ, avec les mutuelles, nous avions ce qu'on appelle l'adhésion individuelle. Avec cette adhésion, une personne venait à la mutuelle, adhérait et cotisait pour elle-même et sa famille. Cependant, ce système présentait ses limites, car nous constations que cela ne permettait pas une croissance significative du nombre de membres. Pour pallier à cela, nous avons encouragé l’adhésion groupée via les caisses autogérées, les groupements féminins, les associations villageoises de prêts et de crédit, ainsi que les associations féminines, ce qui augmente le nombre de membres de la mutuelle et la mobilisation des ressources. Ces associations visent en effet à résoudre les problèmes de leurs membres par le biais d'une épargne collective qu'elles collectent régulièrement. Grâce à cette stratégie, nous avons constaté une augmentation du nombre de membres de la mutuelle et une meilleure collecte des cotisations, car les femmes s'acquittent intégralement de leur cotisation.

Les mutuelles de santé fonctionnent selon la loi du grand nombre. Cette approche nous a permis d'atteindre nos objectifs en termes de mobilisation des ressources et de pourcentage de la population affiliées à une mutuelle de santé.

"Lors de notre visite, avait lieu une journée dédiée à la vaccination des enfants . © Solsoc 2023"

Quels sont les défis que vous rencontrez actuellement ?

Lobé Sissoko : Aujourd'hui, les mutuelles traversent des difficultés. Avant, le payement de la cotisation était uniquement assuré par les bénéficiaires. Mais avec la politique sociale du gouvernement du président de la République, Macky Sall, la couverture maladie universelle de base a été instaurée, et notamment à travers les mutuelles de santé. Cette couverture est soutenue par une subvention de l'État. Ainsi, la cotisation annuelle est passée de 3500 francs à 7000 francs, fractionnée en deux : 3500 francs payés par le bénéficiaire et les autres 3500 francs subventionnés par l'État.

Le problème actuel réside dans le retard de l'État à verser ces subventions. Cela pose de sérieux problèmes pour recouvrer ces subventions qui tardent souvent d'année en année. Pendant ce temps, les bénéficiaires continuent d'accéder aux soins hospitaliers, et nous devons les prendre en charge avec les ressources collectées. La subvention de l'État est censée compléter ces fonds, pour nous permettre de régler les factures. Aujourd'hui, les mutuelles se retrouvent avec des factures impayées et des difficultés à payer les prestataires de soins.

De plus, il n'y a pas de mesures d'accompagnement adéquates pour gérer les risques, comme la fraude, la surconsommation et la surprescription. Nous réfléchissons actuellement à la mise en place de médecins-conseils, ce qui permettrait de minimiser ces risques. Le contrôle médical actuel est sporadique et non systématique, ce qui permet aux prestataires de soins de prescrire librement sans crainte de vérifications. Cela nous oblige à payer des factures élevées, car nous ne sommes pas des experts en matière de santé, mais des citoyen·ne·s encadrant d’autres citoyen·ne·s pour qu'ils accèdent aux soins de santé.

Un autre défi majeur est de convaincre les personnes de l’économie informelle et rurale à adhérer aux mutuelles de santé. Jusqu'à présent, le taux de pénétration[1] reste très faible. Il est crucial de développer des stratégies pour couvrir l'ensemble des populations cibles des mutuelles de santé.

"Mutuelle en zone rurale, région de Kaolack. © Solsoc 2023"

Que faites-vous pour remédier à ces défis ?

Lobé Sissoko : Pour remédier à ces problèmes, nous avons mûrement réfléchi à plusieurs solutions. Une des réponses aux besoins des populations pourrait être la portabilité des soins. De la même manière qu’une personne peut emporter son téléphone portable partout où elle va, elle devrait pouvoir emporter ses soins de santé. Nous avons résolu ce problème de portabilité des soins dans la région de Kaolack en assurant que, partout où une personne se trouve dans cette région, elle est prise en charge par une mutuelle de santé. Dans chaque commune de la région de Kaolack, il y a une mutuelle de santé. Pour assurer cette portabilité, nous avons mis en place des cartes individuelles, car les cartes familiales ne répondaient pas aux besoins des populations. Par exemple, si je voyage avec la carte familiale, et que mon enfant tombe malade, il ne peut pas être soigné, car la carte est avec moi. Désormais, même les bébés de 0 à 5 ans peuvent disposer de leur propre carte sanitaire. En cas de maladie, ils peuvent être directement emmenés dans une structure sanitaire. C'est une solution fondamentale.

L'autre solution est la professionnalisation des mutuelles. Nous devons employer du personnel qualifié pour travailler au sein des mutuelles de santé. Il est également nécessaire de mettre en place des contrôles financiers, administratifs et comptables, car nous gérons les ressources de l'État, qui proviennent des contribuables. Ce contrôle doit couvrir non seulement les risques, mais aussi les ressources pour garantir une utilisation transparente et efficace des fonds.

Nous devons également améliorer la portabilité des soins au-delà de Kaolack pour l'étendre à l'échelle nationale. Une portabilité nationale permettrait aux bénéficiaires d'accéder aux soins hospitaliers dans tout le pays.

Un autre élément fondamental est de rendre l'adhésion quasiment obligatoire. Des mesures incitatives peuvent pousser les personnes à adhérer à une mutuelle de santé. Par exemple, nous pourrions conditionner l'obtention de certains documents administratifs, comme l'extrait de naissance, à l'adhésion à une mutuelle de santé.

Les financements innovants sont également essentiels. L'État doit développer des taxes sur le tabac et l'alcool pour financer la santé et la couverture maladie universelle. Nous devons aussi exploiter les mécanismes endogènes, comme les groupements de femmes, les tontines et les caisses autogérées, ainsi que les champs collectifs où les populations peuvent cultiver et utiliser les récoltes pour cotiser aux mutuelles. Il existe déjà des mutuelles qui le font avec succès.

Enfin, nous devons trouver des financements alternatifs pour ne pas dépendre uniquement des partenaires au développement, dont le soutien est temporaire. Nous voulons un modèle pérenne et durable qui réponde aux besoins du secteur informel et rural en matière d'accès aux soins de santé.


[i] Le système des tontines est une forme traditionnelle de coopération financière très répandue en Afrique. Une tontine est un groupe de personnes qui se réunissent régulièrement pour contribuer à un fonds commun. Ce fonds est ensuite redistribué à tour de rôle à chaque membre du groupe. Le processus se répète jusqu'à ce que chaque participant ait reçu la totalité du fonds une fois.

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