Cette année pour la journée mondiale de lutte pour les droits des femmes, nous avons décidé de mettre en avant le travail de notre partenaire Angele Nsamwene. Angele est chargée de suivi et d’évaluation du programme de partenariat entre l’ONG « parlons sida aux communautés » (Pasco) et Solsoc. Depuis son bureau, à Kinshasa elle nous raconte l’histoire de son organisation et nous explique en quoi consiste leur travail d’accompagnement des « populations clés » (professionnelles du sexe, les personnes transgenres, hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, femmes ayant des rapports avec des femmes, les usagers de drogues injectables).
Photo prise lors d’une mission organisée par Solsoc en RDC, en janvier 2023. Angele est au centre en mauve.
Angel pourrais-tu nous présenter ton organisation et le travail que vous menez au quotidien?
L’ONG Pasco prend ses racines au lendemain de la guerre des 6 jours. Une guerre qui est née d’un affrontement entre les armées rwandaise et ougandaise sur le territoire congolais à Kisangani. Comme vous le savez, la guerre amène des décès, des destructions et a des conséquences terribles pour les populations civiles. C’est suite à cette guerre que notre coordinateur, Michel Lay, a constaté que certaines personnes avaient été impactées par la propagation du VIH/SIDA. Il a souhaité apporter une réponse positive à cette guerre via la construction d’un projet qui contribuerait non seulement à soigner les personnes infectées par le VIH/SIDA, mais aussi à relever le moral des personnes affectées par la guerre. Via un partenariat avec l’Union Nationale des Mutualités Socialistes de Belgique, le projet a pu débuter en 2006 à Kinshasa.
Photo prise lors d’une mission organisée par Solsoc, Solidaris et la FGTB en RDC, 2019
Comment vous êtes-vous organisés ? Par où avez-vous commencé ?
Nous avons commencé par un travail de sensibilisation vers « populations clés », soit celles les plus à risque de contracter des IST (les professionnel∙le∙s du sexe, les personnes transgenres, les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, les femmes ayant des rapports avec des femmes, les usagers de drogues injectables). Nous nous sommes rendus dans leur logement (les parcelles d’hébergement), dans les bars, les cafés pour rencontrer ces populations et les sensibiliser.
Assez rapidement, nous nous sommes rendus compte qu’il fallait pouvoir offrir une prise en charge à ces personnes qui ne bénéficiaient d’aucune couverture sociale. Dans un premier temps, nous les renvoyions vers des centres de santé, mais nous n’avions aucun retour. Notre travail de sensibilisation fonctionnait, mais l’accompagnement pour l’accès aux soins rencontrait des difficultés.
Quels étaient les problèmes rencontrés ?
À cette époque, nous mettions l’accent sur la prévention. Mais vous savez, lorsqu’une personne est sensibilisée, vous établissez un lien de confiance avec elle. Ce contact se perdait lorsque nous les référions à un centre de santé. Nous avons constaté que les centres n’offraient pas la même écoute et que les « populations clés » étaient parfois stigmatisées dans leur accès aux soins. Pour nous, il était clair qu’il fallait pouvoir offrir directement les services de soins (dépistage IST, VIH, planification familiale, assistance psychomédicosociale) dans un même lieu. C’est en 2013, que nous avons mis en place le pre mier centre de ce type. On l’a appelé Bwanya qui veut dire sagesse.
Photo prise lors d’une mission organisée par Solsoc, Solidaris et la FGTB en RDC, 2019
Aujourd’hui est une journée particulière, puisque nous sommes le 8 mars, qu’évoque cette journée pour vous et votre association ?
C'est une journée importante. Chez nous, ce sera une journée de portes ouvertes durant laquelle nous allons recevoir les professionnel.le.s du sexe pour échanger sur leurs droits. Nous allons tenir des ateliers pour libérer la parole et comprendre ce que cette journée évoque pour elles.eux. Car elles.eux aussi ont le droit de vivre librement, libre de toute violence, discrimination, le droit au meilleur état de santé, à l’éducation pour elles.eux et leurs enfants, au droit au vote, à la propriété, et à un salaire pour leur travail. C’est sur l’ensemble de ces droits que nous allons échanger demain. Car être professionnel.le.s du sexe ne doit jamais être synonyme de dépendance, mais bien d’indépendance.
Cette autonomie est fondamentale, car elle contribue au développement du pays et de la société. Lorsquils-elles réalisent les activités génératrices de recettes (AGR) ça les permet à faire partie d’une mutuelle, et à cotiser en plus ils-elles ont la facilité d’étudier et de faire étudier leurs enfants. C’est un cercle vertueux qui se crée et une série de problèmes et difficultés qui sont évités.
Aujourd’hui en RDC, comment les pouvoirs publics considèrent les personnes avec lesquelles vous travaillez?
Aujourd’hui en RDC notre constitution ne dit mot sur les personnes avec lesquelles nous travaillons. De manière générale, ces catégories de personnes sont invisibilisées. Ces minorités existent et vivent souvent dans la clandestinité. Le travail que nous menons avec nos partenaires au niveau du gouvernement vise essentiellement à visibiliser l’existence des "populations clés", à reconnaitre leurs droits et mettre un terme à leurs stigmatisations.
Pour cette journée du 8 mars, quels sont les messages que vous aimeriez adresser aux responsables politiques congolais ?
Je dirais que les professionnel.le.s du sexe ont toujours existé et qu’il fut un temps où elles bénéficiaient d’un accès à ce qu’on appelait les « centres d’hygiènes ». Ces centres offraient un panel de services et garantissaient une certaine reconnaissance de leurs statuts. Une première étape serait de retourner vers ce type d’approche.
Quels sont les messages que vous aimeriez adresser aux responsables politiques belges et européens ?
Le principal message est de dire qu’il faut poursuivre le travail d’accompagnement. Lorsque vous échangez avec les travailleurs.euses du sexe vous constatez qu’ils.elles ne souhaitent pas cotiser pour l’accès aux soins de santé. Cela s’explique par la grande précarité d’une part, mais aussi par la stigmatisation qu’ils.elles subissent au quotidien. Leur souhait est que Pasco prenne en charge davantage de risque liés à la santé. À l’heure actuelle, nous couvrons les IST, le VIH et dans certains cas la contraception. Nous menons un travail de sensibilisation pour convaincre nos publics de l’importance de cotiser. Nous essayons également de réfléchir à la manière d’accompagner les mutuelles de santé pour qu’elles soient mieux à même prendre en charge les besoins des populations clés. Nous devons continuer à être appuyés dans ce travail.
Photo prise lors d’une mission organisée par Solsoc, Solidaris et la FGTB en RDC, 2019
Voyez-vous une évolution de la prise de conscience de ces luttes dans le débat public ?
Au niveau des populations clés, nous constatons une évolution très claire. À l’époque, nous devions nous déplacer vers elles.eux. Ce travail de sensibilisation a été long et laborieux, mais aujourd’hui, grâce à ce travail de proximité, ils.elles viennent à nous et sont même devenu.e.s les animateurs de notre ONG. Dans le domaine de la santé, lorsqu’ils.elles prennent le risque d’être infecté.e.s par une MST, ils se rendent directement chez nous. Enfin, nous constatons aussi une évolution dans la manière dont certaines personnes se dévoilent publiquement, assument leurs identités et les revendiquent.
Au niveau de Pasco, nous sommes passés d’un centre en 2013 à 11 centres répartis dans les onze provinces de la RDC. Sans compter les centres intégrés, c’est-à-dire les centres qui appartiennent à l’État et que Pasco supervise dans la prise en charge des "populations clés".
Enfin au niveau de l’État, il y a également des petits progrès. Lorsqu’on parle de droits humains, on cite les "populations marginalisées" qui couvrent les "populations clés". Aujourd’hui il y a des programmes nationaux de lutte contre le VIH(PNLS) Programme National de lutte contre le VIH/SIDA) et le PNMLS (Programme National Multisectoriel de Lutte contre le VIH/SIDA qui sont également mis en place par l’État lorsqu’ils organisent les activités phares, ils ne manquent plus d’y associer PASCO. Ce qui est une évolution non négligeable.