Ces derniers mois, plusieurs syndicalistes et défenseur·euse·s des droits humains partenaires de notre programme syndical ont été menacé∙e∙s de mort pour leur engagement social. Malgré une bascule historique à gauche aux élections de 2022, la Colombie reste dramatiquement en tête du classement mondial des pays les plus meurtriers pour les dirigeants syndicaux[1].
L'HISTOIRE D'ABEL RIVERA, SYNDICALISTE MEMBRE DE SINALTRAINAL
Le 22 août 2022, la vie d’Abel Rivera Trujillo, employé de Nestlé dans la région Valle del Cauca et membre de la section syndicale SINALTRAINAL de Bugalagrande, a basculé. Alors qu'il rentrait chez lui après une journée de travail, un motard s'est approché de sa voiture dans une zone isolée, a retiré son casque et lui a dit qu'ils l'avaient identifié, qu'ils savaient où il travaillait, qu'ils ne voulaient plus le revoir et que c'était le dernier avertissement qu'ils lui donnaient. L'homme a ensuite montré l'arme qu'il portait à la ceinture et a démarré.
Ce n'était pas la première fois qu'Abel recevait des menaces, mais cette fois-ci, c'était la plus grave et la plus directe. Le syndicat a réussi à obtenir de Nestlé qu'elle lui accorde un congé afin qu'il puisse se rendre immédiatement dans une autre région, empêchant ainsi la mise à exécution des menaces, mais laissant derrière lui sa famille à Tuluá. Depuis lors, Abel n'a pas été en mesure de retourner chez lui en toute sécurité et fait actuellement l'objet d'un programme de protection pour les leaders sociaux en Espagne. Dans quelques semaines, Abel retournera en Colombie sans pour autant que les conditions structurelles de risque aient changé.
Le 24 octobre 2022, une délégation de représentants politiques belges et de conseillers du parti socialiste, conduite par Solsoc, a rencontré M. Rivera à Bogota et a entendu son récit poignant. Difficile de croire qu’en Colombie, le seul fait d’organiser des grèves et des actions sociales puisse mener à une telle situation.
L'HISTOIRE DE JULIANA MILLÁN, DIRECTRICE D’ATI, PARTENAIRE DE SOLSOC EN COLOMBIE
Juliana Millán est la directrice politique de l'association ATI, qui soutient le projet syndical porté par Solsoc et la FGTB-HORVAL, également dans la région Valle del Cauca. Le 14 juin de cette année, a été inauguré le centre culturel syndical (CACTUS) dans la ville de Palmira, futur siège du syndicat des coupeurs de canne à sucre SINTRACATORCE et, par la suite, de la fédération syndicale agroalimentaire qu'ils sont en train de construire avec SINALTRAINAL. Ainsi, le CACTUS servira de tremplin aux activités de défense des droits des travailleuses et travailleurs de la région Valle del Cauca, et visera également à promouvoir les droits de leurs familles et de la communauté dans son ensemble, permettant d'unir les luttes du monde syndical et du monde agricole.
Dès janvier 2023, Juliana et le président de SINTRACATORCE, Fernando Lasso, ont commencé à se sentir surveillés. Lors de l'inauguration de la maison CACTUS, la présence de personnes et de matériel d'enregistrement extérieurs aux organisations a été remarquée. Enfin, après plusieurs appels menaçants, la directrice politique d'ATI a reçu des menaces directes par l'intermédiaire de sa fille, "tout le monde ici sait que ta mère va être tuée" lui a-t-on dit.
UN CLIMAT D’INSÉCURITÉ POUR TOUS LES DÉFENSEUR·EUSE·S DES DROITS HUMAINS
Ces menaces ne sont pas isolées ; elles s'inscrivent dans un climat prolongé d'insécurité en Colombie pour tous les défenseur·euse·s des droits humains. En 2022, 189 leader·euse·s sociaux·ales ont été assassiné·e·s et en 2023, on décompte 178 autres victimes[2]. En 41 ans d'existence de SINALTRAINAL, 18 travailleurs de Nestlé affiliés au syndicat ont été assassinés en Colombie.
Depuis le début du conflit armé colombien, il y a plus d'un demi-siècle, le nombre d'acteurs armés s'est multiplié : groupes rebelles armés (guérillas de gauche), paramilitaires (conservateurs d'extrême droite), groupes illégaux formant des bandes criminelles autour du trafic de drogue, d'êtres humains et d'armes, ainsi que le rôle des forces de sécurité de l'État dans de nombreuses régions du pays.
Aujourd'hui, les liens entre nombre de ces groupes armés, en particulier les paramilitaires, et les grandes élites foncières, les hommes d'affaires et les familles qui ont fait partie des élites sociales et politiques du pays sont amplement démontrés ; ces groupes ont été utilisés pour déposséder des territoires, démanteler des organisations sociales et semer une politique de terreur et de sécurité militaire dans le pays.
Nous savons que l'histoire de la Colombie a pris un tournant après les élections nationales de 2022 et que le gouvernement est disposé à ouvrir un processus de dialogue très différent de la politique de guerre et de confrontation ; cependant, nous sommes préoccupés par le fait que les acteurs armés continuent de recourir à la force contre les dirigeant·e·s sociaux·ales. Solsoc, FGTB-HORVAL et leurs partenaires SINALTRAINAL, SINTRACTORCE et ATI continueront tant que nécessaire de demander au gouvernement colombien de protéger ses leader·euse·s sociaux·ales, de mettre fin à l'impunité des auteurs de ces menaces et violences, de faire respecter les droits garantis par les conventions internationales, tels que le droit d'association, de manifestation et la liberté d'expression. La Belgique, l’UE et l’ONU ont également un rôle à jouer pour insister sur la protection des activistes et contraindre les entreprises comme Nestlé à faire respecter les droits humains et environnementaux tout au long de leur chaine de valeur.
Forum international du CWBCI 17 octobre 2023.