S'informer
Colombie: la paix en danger !
30 octobre 2019
Colombie: la paix en danger !
Liliana Vargas est coordinatrice au sein d’ATI (Association de Travail Interdisciplinaire), partenaire de Solsoc en Colombie. En septembre dernier, elle était de passage à Bruxelles dans le cadre d’une mission de plaidoyer pour y présenter le bilan alarmant de la première année du gouvernement d’Ivan Duque. Rencontre.
Le panorama de l’implémentation du processus de Paix signé en 2016 entre le gouvernement de Juan Manuel Santos et la guérilla des FARC est particulièrement inquiétant et, en tant que membres d’une organisation de la société civile, nous sommes préoccupé·e·s. En effet, depuis l’ascension d’Ivan Duque, le parti au pouvoir a, à maintes reprises, attaqué le système de justice transitionnelle, à savoir les mécanismes de vérité, justice et réparation en proposant toute une série de réformes qui portent préjudice à l’accord de paix. Le gouvernement cherche à déstabiliser l’accord et ignore de la sorte son caractère contraignant qui implique qu’il ne peut être modifié. L’implémentation de l’accord fait désormais partie intégrale de notre institution et ne doit pas dépendre de la volonté du gouvernement au pouvoir.
"Le parti au pouvoir a, à maintes reprises, attaqué le système de justice transitionnelle."
Parmi les manœuvres qui nous inquiètent le plus : le flou autour de l’utilisation des 37 milliards de pesos qui étaient prévus pour la mise en œuvre de l’accord en 4 ans. La politique de défense et de sécurité actuelle prône une militarisation et l’augmentation des pouvoirs des forces publiques afin de mieux contrôler les territoires. Nous constatons déjà une accentuation significative de 124% de la violence au sein de ceux-ci. Cette dernière année, 226 défenseur·euse·s des droits humains ont été assassiné·e·s. En ce qui concerne la réforme rurale, point numéro un de l’accord, particulièrement crucial pour instaurer la paix, les objectifs sont loin d’être atteints. Parmi les 6 millions de terres accaparées durant le conflit, seuls 10% font l’objet d’ordres de restitution.
Pourquoi la justice transitionnelle est primordiale pour accéder à la paix ?
La justice transitionnelle nous permettrait d’identifier ceux·elle·s qui se cachent derrière les actes de violence et d’établir des mesures de pardon envers les victimes. Cela ferait de nous une société plus résiliente face à tout ce qu’elle a vécu. En somme, elle nous fournirait les outils pour tourner la page, sans laisser dans l’impunité les acteur·rice·s qui ont participé activement au conflit : la guérilla, les groupes paramilitaires, ainsi que les forces gouvernementales, c’est-à-dire l’armée et la police. Un exemple de mécanisme mis en place à cet effet : la Juridiction Spéciale pour la Paix (JEP) dont l’objectif est de mettre en œuvre la justice transitionnelle en reconnaissant les délits commis dans le cadre du conflit armé. Malheureusement, le pouvoir en place cherche à déstabiliser la JEP, en la réformant et en proposant par exemple que les militaires soient jugés par d’autres militaires.
Cette situation pourrait-elle mener certain∙e∙s ex-guérillero·a·s à reprendre les armes ?
96% des guérillero.a.s démilitarisé.e.s veulent maintenir l’accord de paix. Il·elle·s ont manifesté ouvertement leur volonté de s’investir dans les projets productifs prévus par l’accord, comme la substitution des cultures de coca, malgré le fait qu’il·elle·s n’ont pas accès aux ressources financières prévues à cet effet. Mais la pauvreté et la présence d’autres groupes armés dans les territoires pourraient pousser d’autres individus à reprendre les armes. Nous vivons un moment critique. Il est possible de changer cette réalité, mais cela dépend en grande partie de la volonté du gouvernement. Pour affronter les causes structurelles du conflit armé, il faut suivre la feuille de route élaborée lors de l’accord de paix.
"Nous vivons un moment critique."
En ce qui concerne la deuxième guérilla du pays, l’ELN (Armée de Libération Nationale), le gouvernement n’a pas de volonté de dialogue. En effet, il a interrompu les négociations en ignorant de la sorte les protocoles qui y avaient été établis. Il a même publié des mandats d’arrêt à l’encontre de certaines personnes qui faisaient partie des négociations. Le gouvernement actuel, à l’instar de celui d’Alvaro Uribe, se caractérise par son attitude autoritaire et le manque de disposition pour le dialogue. Pour Uribe, la confrontation militaire a toujours été la solution. Ceci ne mène à rien ! Au contraire, ça a amené le pays à vivre les périodes les plus sombres de son histoire. La population colombienne est inquiète ; une mobilisation sociale voit le jour pour dénoncer ce retour au passé.
Quel message souhaitez-vous faire passer à la communauté internationale ?
Nous sommes à nouveau en train de basculer vers la violence que nous avons vécue avant que les négociations avec les FARC ne commencent. Nous attirons l’attention de la communauté internationale et en particulier celle de l’Union européenne et des pays qui se sont investis comme garants de l’accord de paix. En effet, plusieurs ont même apporté des fonds à l’accord. Il faut un suivi de l’argent qui a été investi afin qu’il serve à des fins de vérité, justice, réparation et non répétition, à travers les politiques sociales prévues dans l’accord. Cela a d’ailleurs été l’objectif de notre mission à Bruxelles. Nous avons rencontré différents parlementaires, de différents partis, pour attirer leur attention sur la situation actuelle et leur demander des actions de suivi. Enfin, il est important de développer plus de dialogue avec la société civile colombienne, qui est là pour contredire lorsque c’est nécessaire le discours du gouvernement qui prétend que l’implémentation de l’accord avance, alors qu’en réalité il est en train de réinstaurer un modèle qui ferait tout sauf nous mener vers la paix…
Pour lire le rapport de la première année du gouvernement d’Ivan Duque en espagnol, cliquez ici, pour lire le résumé en français cliquez ici.