Le 26 septembre 2016 à Carthagène, l’Accord de paix était signé entre les FARC-EP et le gouvernement colombien. Cet accord historique devait mettre fin à 50 années de conflits ayant fait plus de 45000 mortsd et plusieurs millions de déplacé.e.s. 5 ans plus tard, le climat de violence et d’impunité perdure.
Les chiffres des violences commises à l’encontre des défenseur.euse.s des droits humains sont effroyables. Selon l’organisation colombienne INDEPAZ, depuis le début de l’année 2021, 116 leader.euse.s et défenseur.euse.s des droits humains ont été agressé.e.s, 69 massacres qui ont fait 249 victimes ont été perpétrés, 36 signataires de l’Accord de paix ont été assassiné.e.s. Selon Frédéric Thomas, chargé d’études au CETRI, auteur de la récente carte blanche « les lendemains désenchantés du processus de paix en Colombie »[1], en moyenne plus de 20 dirigeant.e.s sociaux.ales ont été assassiné.e.s chaque mois en Colombie depuis la signature de l’Accord de paix, soit 1229 activistes colombien.ne.s.
Le documentaire Tierra de Lucha réalisé par Solsoc, FOS et IFSI le montre bien : le contexte colombien est marqué par un modèle dominant basé sur la prédation des ressources naturelles, les dégradations de l’environnement, les inégalités sociales criantes, la concentration des terres entre les mains d’une poignée de propriétaires terriens. À ce tableau déjà fort sombre s’ajoutent des violences répétées et commises en toute impunité envers les syndicalistes, défenseur.euse.s des droits humains, défenseur.euse.s de l’environnement, les paysan.ne.s, les communautés indigènes et afro colombiennes qui défendent la terre et le territoire. Des acteurs qui défendent les intérêts des travailleur.euse.s, du peuple colombien et réclament des alternatives à un système capitaliste mortifère.
En avril dernier, un soulèvement populaire toujours en cours a éclaté en réaction à un projet de loi de réforme fiscale qui aurait eu pour effet de grever les budgets des classes moyennes et populaires déjà durement touchés par les effets de la crise sanitaire et économique. Le projet a finalement été retiré face aux pressions. Cependant, les manifestations de grande ampleur ont continué. En effet, en descendant dans les rues, les Colombien.ne.s ont voulu dénoncer des problématiques plus profondes et structurelles mises en avant depuis des années par les organisations de la société civile. Les Colombien.ne.s ont aussi réclamé l’arrêt des violences étatiques et paraétatiques, le respect de l’Accord de paix de 2016, un meilleur accès à la santé et à l’éducation, la mise en place d’un revenu de base pour répondre aux besoins des nombreuses familles touchées par la crise, de même que la mise en place d’un espace de dialogue entre le gouvernement et les divers secteurs politiques et organisations sociales pour résoudre les crises multiples que connait le pays.
En effet, la Colombie est le troisième pays d’Amérique latine le plus touché par la pandémie de COVID-19 (après le Brésil et le Mexique), avec 5 millions de cas pour près de 127 000 décès. Un contexte de crises multiples affecte le quotidien des citoyen.ne.s d’un pays considéré comme l’un des plus inégalitaires du continent américain,où près de la moitié de la population vit d’emplois informels, et où le chômage touche près de 17% de la population active et la pauvreté 42,5% de la population totale.
Les manifestant.e.s ont aussi réclamé des garanties pour l´exercice du droit légitime à manifester. En effet, les mobilisations pacifiques ont été durement réprimées depuis le premier jour et continuent de l’être. Selon l’ONG colombienne Temblores qui répertorie les violences policières, on dénombre au moins 4 687 victimes de violences commises par les membres des forces de sécurité ; 44 homicides qui auraient été commis par des membres des forces de sécurité ; 2005 manifestant.e.s qui auraient été détenu.e.s arbitrairement, 784 interventions des forces policières marquées par la violence, 28 victimes de violences sexuelles et 9 victimes de violences sexistes qui ont été répertoriées durant les manifestations.
Toujours aux côtés de nos camarades colombien.ne.s
Face aux nombreuses exactions et intimidations à l’encontre des syndicalistes et leader.euse.s sociaux.ales ces derniers mois, Solsoc, FOS et la FGTB Horval ont adressé une lettre ouverte au Président Yvan Duque, transmise à plusieurs responsables politiques et parlementaires belges pour exprimer leurs vives inquiétudes concernant la situation des droits humains en Colombie et la détérioration des relations entre le gouvernement et les syndicalistes victimes d’assassinats, de menaces de morts, d’intimidations et de violences. Nos organisations ont pointé spécifiquement les cas concernant plusieurs camarades syndicalistes travaillant pour des compagnies connues comme Nestlé et AB Inbev, tels que l’assassinat de Felipe Andrés Père, les menaces de mort à l’encontre de Jose Mauricio Valencia, Diego Rodriguez et Carlos Flore, les arrestations arbitraires de Walter Pérez et Epifanio Domínguez, les menaces de mort à l’encontre de Wilson Alberto Riaño Villada, Carlos Alberto Soto Buitrago, Edwin Mejía Correa, José Onofre Esauivel Luna et Fernando Castaño.
Que vaut la vie des Colombien.ne.s face à des accords commerciaux ?
En réaction aux déferlements de violence et de répression pour mater les manifestations, Solsoc, FOS, IFSI, la FGTB Horval et leurs organisations partenaires en Colombie se sont mobilisé très fortement en interpellant la Ministre des Affaires étrangères Sophie Wilmès. Nos organisations ont alerté la ministre sur les répressions envers les manifestant∙e∙s colombien∙ne∙s, ont demandé que le gouvernement belge condamne l’usage excessif de la force par le gouvernement colombien et qu’il l’exhorte à respecter les droits humains et syndicaux, à garantir l’exercice du droit légitime à la protestation sociale et à respecter ses engagements pris dans le cadre de l’Accord de paix.
Nos interpellations et communications[2] ont été accompagnées par un fort travail parlementaire comme en témoigne la question posée le 26 juin par la députée socialiste wallonne Gwenaëlle Grovonius au Ministre-Président Jeholet sur la situation en Colombie et la proposition de résolution portée durant l’été par le député fédéral PS Christophe Lacroix visant à faire cesser la répression à l’égard des manifestant.e.s en Colombie et pour une protection des syndicalistes et des défenseur.euse.s des droits humains.
Au-delà de la récente crise en Colombie, nous n’avons eu de cesse de rappeler le rôle de la Belgique et de l’Union européenne et la nécessité d’un positionnement ferme face à ces déferlements de violences et flots de sang déversés en Colombie. Régulièrement les organisations de la société civile demandent à l’Union européenne de réclamer des comptes au gouvernement colombien sur la mise en œuvre de l’Accord de paix, et plus particulièrement sur l’utilisation d’un financement de 90 millions d’euros apportés par l’Union européenne fin 2016, une partie des fonds étant alloués à la réforme rurale intégrale en Colombie et à la réincorporation des ex-combattant.e.s.
De plus, l’Union européenne et la Colombie sont liées par l’accord commercial de libre-échange[3] UE, Colombie, Pérou, Equateur dont les organisations de la société civile et les parlementaires alliés n’ont de cesse de demander sa suspension partielle ou totale.. Ce type d’action avait été promise en cas de violations des droits humains par l’ancien Commissaire au Commerce Karl De Gucht. Il est important de préciser qu’au niveau belge, cet accord n’a pas été validé par les entités fédérés en réaction aux violations continues des droits humains en Colombie.
Alors qu’il est désormais question d’adopter des cadres légaux sur le devoir de vigilance aux niveaux belge et européen afin que les entreprises soient contraintes à respecter les droits humains, les relations commerciales de la Belgique et de l’Union européenne avec la Colombie ne doivent pas primer sur le respect desdits droits. 5 ans après la signature de l’Accord de paix, face aux violences persistantes dans ce pays, nos organisations continueront à demander à la Belgique et à l’Union européenne de se positionner fermement dans leurs relations bilatérales et leurs échanges commerciaux avec la Colombie, pour que cessent les violences commises en toute impunité envers les syndicalistes, les défenseur.euse.s des droits humains, de l’environnement et de la terre.