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Sans terre, sans droits: les creuseurs du Katanga, 3 ans plus tard
5 septembre 2018
Sans terre, sans droits: les creuseurs du Katanga, 3 ans plus tard
En 2015, Solsoc réalisait, en collaboration avec l’atelier Graphoui, un web documentaire sur les creuseurs artisanaux de la région du Katanga, en République Démocratique du Congo. 3 ans plus tard, nos chargées de partenariat et de communication, Sylvie Demeester et Ioanna Gimnopoulou, se sont rendues sur place pour faire le bilan de la situation.
Le Lualaba, une des nouvelles provinces issues de la division du Katanga, est une région riche en métaux non ferreux (cuivre, cobalt, manganèse, or, étain, etc.). Les transactions faites par les négociants et les intermédiaires des entreprises, principalement indiennes et chinoises, représentent plusieurs millions de dollars par jour. En RDC, le secteur minier artisanal compte environ 1 million de travailleur·euse·s et fournit 27% de la production du pays. Ironie du sort : malgré ces chiffres exorbitants, les principaux acteurs de ce travail pénible, les creuseurs, vivent dans la pauvreté.
De la Gécamines au monopole chinois
Les mines en RDC ont commencé à être exploitées à l’époque de la colonisation. L’histoire de la Société générale des carrières et des mines (Gécamines), entreprise d'État basée à Lubumbashi est d’ailleurs intimement liée à celle du roi Léopold II. Les premières années de la Gécamines furent glorieuses. La société a opté pour une politique sociale : création d’emplois, d’écoles, de dispensaires, de salles de fêtes, de logements pour les travailleur·euse·s... Quand ils se rappellent de cette époque, les Congolais·e·s sont souvent nostalgiques. Aujourd’hui, les sites majeurs de la Gécamines, comme celui de Lubumbashi, pourtant encore partiellement fonctionnel, ne ressemblent qu’à un tas de ferrailles rouillées et abandonnées. Mais comment en est-on arrivé là ? « Dans ce secteur, il y a énormément de fraude et d’évasion fiscale. Les lois sont là, c’est l’application qui pose problème. Le Congo n’est pas en mesure de contrôler le secteur convenablement », nous explique Jean-Marie Kabanga, coordinateur de la Plateforme des Organisations du secteur des Mines (POM). « Le Congo n’a pas de stratégie minière à long terme. Les minerais sont des sources épuisables et non renouvelables. Que se passera-t-il dans 20-30 ans ? »
En 2002, au lendemain de l’arrivée au pouvoir de Joseph Kabila et de l’entrée en vigueur du nouveau code minier, le secteur s’est ouvert aux investisseurs étrangers et principalement aux entreprises chinoises, qui contrôlent d’ailleurs la majorité des centres de négoce. Ces dernières offrent de mauvaises conditions de travail : les salaires sont dérisoires, les équipements rudimentaires et artisanaux, les journées de travail très longues, etc. Elles n’utilisent la main d’œuvre locale que comme force de travail, tous les postes à responsabilité ou stratégiques étant occupés par des travailleur·euse·s de Chine. Les permis d’exploitation aux entreprises étrangères sont concédés par la Gécamines qui perçoit un pourcentage de la production, ainsi que d’autres redevances minières. Mais pourquoi la Gécamines n’arrive-t-elle pas à se relancer pour autant ? « C’est une question de mauvaise gestion. Tant qu’il n’y a pas de contrôle rigoureux, tant que la justice ne joue pas son rôle d’interpellation et de sanction, l’impunité continuera… Il faut repenser la manière de gérer. », conclu Jean-Marie Kabanga.
Les creuseurs artisanaux, principales victimes du pillage des ressources
Dans les années 90, le géant Gécamines s’effondre. Le contexte de libéralisme politique, les tensions et conflits interethniques favorisent la prolifération de l’artisanat minier. De nos jours, l’activité économique de certaines villes tourne encore principalement autour de l’exploitation minière. C’est le cas de Kolwezi, où ce chiffre s’élève à 70%. Mais malgré le potentiel économique de l’industrie minière, les premières victimes du pillage des ressources sont les creuseurs eux-mêmes. Ils travaillent dans des conditions déplorables : ils creusent des trous de 20-30 mètres de profondeur, sans équipement et sans outils appropriés. Les risques d’éboulements sont par conséquent très élevés et les accidents mortels fréquents. En 2016, en moyenne par jour, six creuseurs perdaient la vie dans le quartier de Kasulo, à Kolwezi.... « Ça m’est déjà arrivé de saigner du nez à cause du manque d’oxygène… Ce sont ces conditions qui ne nous permettent pas d’évoluer », nous confie Christian Wangoy, creuseur artisanal. Travaillant dans le secteur informel, les creuseurs n’ont pas de couverture sociale. S’ils se blessent, ils doivent trouver un moyen pour se déplacer jusqu’aux dispensaires, qui sont souvent à plus d’une heure de route et payer leurs soins. Leur salaire est irrégulier, puisqu’il dépend de leur récolte et des différents intermédiaires qui en fixent le prix d’achat. « Quand je ne produis pas bien ou que je ne tombe pas sur une bonne qualité de minerais, je peux faire 2-3 semaines, un mois sans avoir d’argent. Quand on ne produit pas, on ne mange pas bien non plus. » explique Christian. Une fois les minerais récoltés, les creuseurs les acheminent vers les centres de négoce dont, très souvent les balances et le Metorex, appareil qui mesure la teneur du minerai, sont truqués. « Il n’y a pas à discuter du prix, il n’y a pas à discuter de la teneur, on vous impose tout ».
Le sort des femmes et des enfants
Les femmes ou « mamans », comme on les surnomme en RDC, lavent et trient les minerais. Elles travaillent dans la chaleur, les pieds dans l’eau, portent des objets lourds et se tiennent courbées durant de nombreuses heures. Elles sont régulièrement victimes de douleurs musculaires, de maux de tête qui les obligent à prendre des médicaments afin de pouvoir continuer leur activité. Lorsqu’on demande à Josephine Kalumbu-Naweji qu’on a rencontré il y a trois ans si la situation a changé depuis la réalisation de notre documentaire, elle a répondu « presque pas ». « Nous essayons de développer des projets alternatifs, comme la Mwangaza, une association agricole grâce à laquelle nous produisons des concentrés de tomates que nous revendons. Nous espérons un jour pouvoir augmenter nos récoltes et ventes, afin de pouvoir laisser de côté notre activité minière ». Mais un autre problème se pose : l’accès à la terre. Dans la région, les terres sont précieuses et très coûteuses…
Il y a pourtant un changement notable à relever : le nouveau code minier de 2018 interdit le travail des femmes enceintes et des enfants dans les mines. « C’est notamment grâce au travail de plaidoyer du Forum des Femmes pour la Gouvernance des Ressources Naturelles, une plateforme d’organisations de la société civile qui défend les droits des femmes dans le secteur minier » dont l’ONG partenaire, le Cenadep est membre, nous explique maître Gabrielle Pero, qui l’y représente. Mais en pratique, qu’est-ce que ça change ? Pas grand-chose, si ce ne sont des panneaux d’information à l’entrée des sites miniers et des centres de négoces. Lors de notre visite du quartier de Kasulo, ex-quartier résidentiel où les habitants creusaient dans leurs parcelles et maisons avant qu’il ne soit déclaré zone minière artisanale, nous avons remarqué la présence de femmes enceintes. Les enfants, eux, jouaient avec les sacs vides, auparavant remplis de minerais. La radioactivité de ces derniers est tellement élevée que, selon une étude de la faculté de santé publique de l’Université de Lubumbashi, par mois, en moyenne, 8 femmes donnent naissance à des enfants malformés dans la Province.
L’ATRAM, Alternative de Transformation de l’Artisanat Minier
Lorsque nous avons rencontré les creuseurs artisanaux, à la question : pourquoi avez-vous choisi de devenir creuseur artisanal, chez tous la réponse est identique : ça n’a pas été un choix, c’est le manque d’opportunités de travail et les mauvais salaires proposés dans les autres secteurs qui les ont poussés à faire ce travail. Mais travailler dans ce secteur afin de subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille ne veut pas dire non plus se contenter des mauvaises conditions de travail et se taire...
Dans la ville de Kolwezi, grâce au soutien de Solsoc et du Cenadep avec l’appui financier de la Région de Bruxelles-Capitale et la Direction Générale coopération au Développement (DGD), l’ATRAM, une coopérative de services et de défense des droits des creuseurs, a vu le jour. Outre la commercialisation groupée de la production de ses membres, ses objectifs sont de conscientiser et organiser les creuseurs. « La particularité d’ATRAM, c’est qu’il s’agit d’un projet émanant des creuseurs », nous explique Papy Nsenga, un de ses membres fondateurs. Comme presque partout en RDC, la majorité des coopératives du secteur sont des initiatives individuelles et pour la plupart politiques et ne représentent donc pas réellement les intérêts des creuseurs. Ces derniers n’en sont d’ailleurs pas membres, mais simplement des travailleurs exploités par le propriétaire. Grâce aux formations organisées par le Cenadep, les creuseurs membres d’ATRAM ont renforcé leurs capacités, notamment en ce qui concerne la gestion de leur argent. Des emplois ont été également créés ; ceci a notamment permis à Nathalie Kazadi, actuelle secrétaire, de laisser de côté son activité minière et d’enfin valoriser sa formation universitaire. La plus grande réussite d’ATRAM, c’est la formalisation de son statut à travers la création d’une coopérative, statut indispensable pour introduire une demande d’attribution d’une zone d’exploitation artisanale (ZEA). Actuellement, ses principales aspirations et revendications sont justement l’obtention d’une ZEA et l’achat du matériel nécessaire pour peser les minerais et mesurer leur teneur afin de ne plus être victimes de fraudes.
Le travail compliqué des ONG et des journalistes sur le terrain
Quand la société civile locale s’est intéressée à la question de la gouvernance des ressources extractives dont celles issues du creusage artisanal, elle a poussé le Gouvernement congolais à adhérer à l’ITIE, l’Initiative pour la Transparence des Industries Extractives (en 2005) pour mieux comprendre où sont affectées les sommes exorbitantes de l’extraction minière y compris l’artisanale, dont le développement économique et social du pays ne bénéficie pas. Plus de 10 ans après cette adhésion, la Plateforme des organisations de la société civile intervenant dans le secteur minier (POM) dénonce les dysfonctionnements dudit processus en RDC. Le secteur reste caractérisé par les pratiques de corruption aussi bien des autorités militaires, que politiques et administratives locales qui freinent tout effort à formaliser le secteur, à améliorer sa gouvernance et à promouvoir des modèles d’exploitation et de redistribution des revenus miniers qui garantissent les valeurs et les principes d’équité et de durabilité.
Cependant, selon Malu Mubalamate, coordinateur régional du Cenadep, les plus grands adversaires rencontrés dans la mise en place d’ATRAM, sont les autres coopératives. En effet, le Cenadep et Solsoc sont les premières organisations à avoir conscientisé et organisé les creuseurs afin qu’ils défendent leurs droits et bénéficient plus des revenus de leur travail, ce qui dérange particulièrement les coopératives existantes qui, à l’inverse, exploitent leur potentiel. Ainsi, à plusieurs reprises Malu a subi des violences verbales de la part d’un président de coopérative et s’est vu empêché de circuler librement au Lualaba. Des jeunes d’un parti politique ont également menacé de s’attaquer aux initiatives du CENADEP si jamais l’action mettait en danger leurs intérêts dans la chaîne d’approvisionnement des minerais au Lualaba.
Le webdocumentaire « Sans Terre, Sans Droits : les creuseurs du Katanga » réalisé par Solsoc a attiré l’attention de journalistes sur cette question et plusieurs reportages, notamment du Washington Post, de la BBC et de la RTBF, ont provoqué une prise de conscience dans l’opinion internationale sur l’importance de l’exploitation artisanale et les conditions de ses travailleurs, dont des femmes et des enfants. En réponse aux mouvements de dénonciation et de sabotage du cobalt congolais qui s’en sont suivis sur les réseaux sociaux, le gouverneur de la province du Lualaba Richard Muyej a lancé la campagne « Touche pas mon cobalt » pour lutter contre la « diabolisation » du cobalt congolais. Il y accuse les journalistes de nuire au pays et les qualifie de traîtres. Il y défend les mesures prises par sa Province pour assainir l'exploitation artisanale. Depuis, des interdictions d’accès à plusieurs sites, dont celui de Kasulo, ont été émises. Nous n’avons d’ailleurs pas eu l’autorisation officielle de le visiter…
En 3 ans, quelques avancées timides
3 ans après la réalisation de notre webdocumentaire et l’accompagnement d’ATRAM par le Cenadep les choses commencent à bouger, mais timidement…
Les actions menées dans le cadre du projet ont influencé la mise en œuvre dans le Lualaba du manuel de traçabilité des minerais des zones minières artisanales et l’application de l’interdiction pour les personnes vulnérables, à savoir les femmes enceintes et les enfants, de travailler dans ces zones. Un centre de négoces doté d’équipements modernes et fiables pour déterminer la teneur des minerais ainsi que leur poids est en construction. Actuellement, l’extraction artisanale n’est plus considérée par les autorités comme une activité de subsistance, mais bien une voie vers le développement.
De plus, grâce aux différents reportages et enquêtes sur le terrain des ONG et médias, quelques entreprises ont décidé de revoir certaines de leurs pratiques. En effet, les consommateurs finaux, pour la plupart provenant de pays européens, sont sensibles aux conditions de travail des creuseurs et aux violations des droits humains. C’est le cas d’APPLE, qui, pour s’assurer d’acheter du minerai propre, surtout en ce qui concerne les conditions sanitaires des exploitants et le travail des enfants, agit pour influencer le secteur.
Les creuseurs regroupés dans la coopérative ATRAM, ont repris espoir. En attendant que leur combat pour obtenir une zone d’exploitation artisanale aboutisse, ils bénéficient d’un quota de production de 1.000 tonnes concédé par deux entreprises minières indiennes, Rwashi –Mining et CDM. Lors du premier forum de l’artisanat minier qu’ils ont coorganisé, un de leurs représentants a pris la parole et s’est exprimé librement en leur nom devant les autorités pour que leurs revendications soient entendues. Une coordination regroupant les organisations de creuseurs du Lualaba s’est mise en place. Sa présidence a été attribuée à ATRAM en reconnaissance au travail déjà accompli en faveur du statut de creuseurs.
Malgré ces quelques avancées, il est décevant de constater que, de manière générale, ce sont les intérêts économiques des grandes entreprises qui priment sur le bien-être des personnes. La RDC est un pays très riche en ressources naturelles avec un potentiel de développement économique immense. Malheureusement, la corruption et la mauvaise gestion du secteur empêchent la société d’en tirer profit. Il est difficile de se heurter aux autorités et de faire réellement changer les choses au niveau étatique: c’est un combat entre David et Goliath. Mais c’est grâce à l’engagement et à la détermination de la société civile et via des projets de plus petite envergure comme celui d’ATRAM, que nous pouvons concrètement améliorer les conditions de vie des personnes. Ces initiatives constituent aussi des alternatives plus respectueuses des droits humains et de l’environnement, comme le projet de reconversion agricole des mamans par exemple. C’est tout le sens du travail de notre partenaire, le Cenadep, et de la coopération au développement au sens large.
Vous pouvez soutenir les creuseurs et les mamans du Katanga !
Si vous souhaitez soutenir le projet des creuseurs artisanaux, faites un don sur le compte BE42 0000 0000 5454 en mentionnant en communication « Je soutiens les creuseurs du Katanga ». Pour plus d’infos, cliquez ici.