Bruxelles, le 21 novembre 2024
Monsieur le Haut Représentant/Vice-Président de l’UE,
Mesdames et messieurs les Ministres des Affaires étrangères des Etats membres de l’UE,
Le réseau Europe-Afrique centrale (EurAc) et ses membres, qui rassemble 32 organisations de la société civile engagées pour la paix, la sécurité et les droits humains, dénoncent fermement la récente décision du Conseil de l’Union européenne1 (UE) d’allouer une enveloppe de 20 millions d’euros au Rwanda via la Facilité européenne pour la paix (FEP) dans le cadre de son intervention militaire au Mozambique. L’octroi de cette aide en dépit du soutien avéré du Rwanda au groupe rebelle M23, responsable de graves violations de droits humains dans l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC), risque d'exacerber une situation sécuritaire et humanitaire déjà précaire tout en contribuant davantage à la déstabilisation de la région.
EurAc, en tant qu’acteur engagé dans une approche holistique et équilibrée au sein de la région, tient à exprimer les préoccupations de ses membres et de leurs partenaires locaux quant au risque que cette aide financière supplémentaire compromette les engagements de l’UE en faveur de la paix, de la stabilité et du respect des droits humains. Nous souhaitons également attirer l’attention des décideurs politiques européens sur le fait que cette décision pose un obstacle supplémentaire au dialogue politique entre le Rwanda et la RDC, fragilisant les perspectives de paix et affaiblissant davantage la crédibilité de l’UE dans la région.
Un soutien qui va à l’encontre du droit international et risque d’aggraver la violence
L’allocation d’une première enveloppe de 20 millions d’euros en décembre 2022 avait profondément heurté l’opinion publique et la société civile congolaise. Déjà à cette période, une telle décision avait soulevé des doutes quant à la capacité de l’UE à s’engager réellement en faveur de la paix et de la stabilité dans la région. Dans un contexte de détérioration toujours plus dramatique de la crise dans l’Est de la RDC et face au soutien des troupes rwandaises aux rebelles du M23 en violation de la Charte des Nations Unies, cette allocation financière supplémentaire qui s’ajoute aux 89 millions d’euros déjà accordées aux forces mozambicaines, compromet une nouvelle fois la crédibilité de l’UE en tant que défenseur de la paix et des droits humains. Fournir un appui militaire à un Etat impliqué aux côtés d’acteurs coupables de violations massives des droits humains va non seulement à l’encontre des principes du droits international humanitaire, qui interdisent de financer tout acteur responsable de crime de guerre, mais contribue également à perpétuer une instabilité chronique, dont les premières victimes restent les populations civiles.
Tout en reconnaissant pleinement l’importance de la lutte antiterroriste, le risque de détournement des fonds européens à des fins militaires en RDC demeure une préoccupation majeure pour les membres d’EurAc et leurs partenaires. Il est essentiel d’instaurer des mécanismes de contrôle rigoureux afin de garantir que les fonds alloués ne sont pas détournés vers des objectifs militaires en RDC et que l'UE ne devienne pas indirectement complice d’activités susceptibles de prolonger les conflits et d’aggraver les souffrances des populations civiles.
La communauté internationale, et l’UE en particulier, a la responsabilité de garantir que son aide soit utilisée exclusivement à des fins de stabilisation et de protection des populations. Elle doit également s’assurer que les actions entreprises dans le cadre de la FEP respectent les normes internationales, y compris en matière de droits humains et de droit international humanitaire.
Trois conditions strictes avant tout soutien à l’armée rwandaise
EurAc et ses membres appellent l’UE à suspendre tout soutien financier au Rwanda dans le cadre de la Facilité Européenne pour la Paix, à moins que les conditions suivantes ne soient rigoureusement respectées :
- Le retrait complet et vérifiable des troupes rwandaises de l’Est de la RDC. La présence de troupes rwandaises sur le territoire de la RDC représente une violation de l’intégrité et de la souveraineté du pays. Aucune aide ne peut être allouée tant que le Rwanda n’aura pas mis en oeuvre le processus de paix de Luanda et retiré ses troupes du territoire congolais. Ce retrait est essentiel pour parvenir à une solution durable et pacifique dans la région.
- Les fonds doivent être exclusivement destinés à des équipements non létaux et aux transports. Aucun financement ne doit être affecté à des équipements militaires offensifs.
- Aucun mouvement de troupes entre la RDC et le Mozambique ne doit être autorisé. L’UE doit mettre en place des mécanismes de contrôle rigoureux pour garantir que l’aide ne soit pas utilisée pour renforcer des opérations militaires dans ces deux théâtres d’opérations. Il est également crucial de garantir la transparence de l’utilisation de ces fonds après leur allocation auprès du ministère des Finances rwandais.
Le réseau EurAc rappelle à l’UE et à ses Etats membres que les intérêts économiques et politiques ne doivent en aucun cas prévaloir sur l’obligation prévue par le droit international de protéger les droits humains et le bien-être des communautés. Si l'UE entend rester fidèle à ses engagements en matière de paix, de stabilité et de respect des droits humains dans la région des Grands Lacs2, elle doit conditionner tout soutien financier au respect de ces trois principes fondamentaux, sans compromis. Toute aide au Rwanda dans le cadre de la FEP doit être suspendue tant que ces conditions ne sont pas pleinement respectées.
Le réseau EurAc et ses membres.
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