Ce pays, construit sur des injustices fondamentales, connaît un conflit armé et une violence politique énorme. A présent, les citoyen∙ne∙s et les partis progressistes veulent avancer vers la paix et la justice sociale. Cependant, les obstacles sont nombreux et les solutions complexes.
22 octobre 2022, Bogotá. Trois collègues de Solsoc débarquent avec une délégation pour une semaine de rencontres avec des organisations de la société civile et des politiciens. Le groupe est composé de Christophe Lacroix, député fédéral socialiste, Yannick Minsier, conseiller diplomatique du Vice-premier ministre Dermagne, Géraldine Georges et Wahed Eddyani, collaborateurs du Groupe PS à la Chambre et au Sénat, Anaïs Geudens, Présidente des MJS et Alex Arnoldy, Secrétaire exécutif du CWBCI. La mission est accompagnée par les deux partenaires associés de Solsoc, ATI et IPC. En Colombie, un changement politique important vient de se produire : le premier gouvernement de gauche de l’histoire du pays est entré en fonction le 7 août, emmené par Gustavo Petro. Son plus grand projet est d’établir la « paix totale » dans un pays impacté par soixante années de conflits armés. Nous nous demandons quelles en sont les implications et comment soutenir ce processus.
Une volonté politique, enfin !
En 2016, les FARCs signent un accord de paix avec le gouvernement de Juan Manuel Santos. Mais son successeur, Ivan Duque n’a fait aucun effort pour le mettre en œuvre. De plus, la Colombie compte encore une cinquantaine de guérillas, paramilitaires et groupes criminels. Les députés du Pacto Histórico que nous rencontrons nous exposent le plan de « paix totale ».
Dans un premier temps, il faudra signer d’autres accords avec les autres groupes armés. Mais cela implique un processus de soumission à la justice car il n’y aura plus d’amnistie totale. Il faudra déclarer ses actes et dénoncer ses co-auteurs ou commanditaires, ce qui n’est pas évident. Dans certaines zones, l’establishment local a conclu des alliances avec le paramilitarisme pour prendre le contrôle. Et quand les économies illicites comme le narcotrafic y sont mêlées la difficulté de parvenir à la paix durcit d’un cran.
Restituer et redistribuer les terres
Une des causes structurelles du conflit armé est l’injustice liée à la concentration des terres. Pire, le sénateur Ariel Ávila nous explique « ceux qui ont gagné la guerre sont les élites rurales latifundistes qui se sont retrouvées avec 6 millions d’hectares de terres spoliées aux petits paysans ». Pour rétablir la justice, deux processus sont à mener de front. D’une part, l’Etat devra acheter et mettre des terres à disposition de familles paysannes qui n’en ont pas. D’autre part, les terres qui ont été spoliées devront être restituées.
Ces procédures de restitution sont longues et font peser un risque énorme aux réclamants de terre. Les habitants de La Teca à Turbó, dans la région d’Urabá, nous racontent la peur au ventre et la voix basse comment les narcoparamilitaires du coin les ont forcés à vendre leurs terres, à un prix dérisoire, à l’entreprise bananière Uniban. Certains membres de la communauté ont été tués et d’autres continuent d’être menacés. Au bout du village, on comprend mieux lorsque l’on découvre un port privé d’où partent les caisses de bananes, parfois agrémentées de cocaïne, direction Anvers.
Les grandes entreprises, le premier pouvoir ?
La Colombie symbolise parfaitement le capitalisme sauvage. Les entreprises agroalimentaires pratiquent les monocultures intensives, détruisant l’environnement et exploitant les travailleur∙euse∙s. Les syndicalistes du secteur témoignent : dans des métiers proches de l’esclavage, l’accès aux soins et à la sécurité sociale est nul et la contestation est réprimée par des renvois, des menaces et des meurtres.
Les gouvernements précédents ont favorisé l’arrivée de multinationales minières comme Anglogold Ashanti, au mépris des communautés paysannes, indigènes et afrocolombiennes présentes dans les zones. Les désastres environnementaux se multiplient. A Jericó, celles et ceux qui ont résisté au projet d’extraction de cuivre et d’or de l’entreprise sud-africaine nous expliquent les stratégies vicieuses de corruption et de propagande employées pour rallier la population.
Petro entend freiner les projets miniers et établir des relations commerciales plus saines en révisant les traités de libre-échange. Il n’aura pas que des amis.
Que faire en Belgique ?
Il y a encore de nombreux défis pour avancer vers plus de justice sociale en Colombie. Combattre la pauvreté, l’impunité, donner des perspectives d’éducation et d’emploi à la jeunesse, lutter contre le racisme, le patriarcat et les violences faites aux femmes. Luz Munera, députée, affirme « parler de paix totale sans changer les conditions de vie des Colombien∙ne∙s est un mensonge ». Les participant∙e∙s à la mission quittent la Colombie avec une colère saine, qui nourrit l’envie de soutenir les organisations syndicales et paysannes, de soutenir les processus de paix, de protection des défenseur∙euse∙s des droits humains, de révision des accords économiques. Mais plus qu’un soutien, exiger de nos entreprises qu’elles respectent les droits humains et les droits environnementaux apparait comme une évidence. C’est pourquoi nous continueront à faire pression pour que la Belgique se dote d’une loi ambitieuse sur le devoir de vigilance des entreprises.